1. DEBAILLE

Ancien chirurgien assistant du CHU d’Alger, ancien chef de clinique à la Faculté et interne médaillé d’or des hôpitaux, le Docteur Debaille a eu le triste devoir d’assister aux derniers instants du Docteur Jean Massonnat assassiné en portant secours à un blessé.

« Les circonstances entourant le massacre du 26 mars 1962, à Alger, vues par le personnel médical des Hôpitaux d’Alger, étaient les suivantes : Compte tenu de la fréquence et de l’importance des arrivées de blessés, une salle de l’hôpital, près du Bureau des Entrées, Avenue Battandier, avait été aménagée en salle d’hospitalisation d’urgence. C’était le « Vieux Daviel « , qui réhabilité et repeint, pouvait contenir environ soixante-dix lits groupés en salle commune. Les sœurs de l’hôpital en assuraient le service médico chirurgical. Leur travail avait été récemment accru par la grève totale de tout le personnel musulman de l’hôpital, sollicité et manipulé par le F.L.N. et qui avait abandonné l’hôpital depuis une semaine (19 mars 1962).

Les gardes des médecins et surtout des chirurgiens avaient été renforcées, nécessitant la présence de plusieurs équipes conjointes et l’ouverture ou la mise en astreinte de plusieurs services, chaque jour, compte tenu du nombre de blessés.

Pour porter secours au blocus de Bal-El-Oued, effectué par la troupe française, un défilé pacifique avait été prévu le 26 mars 1962. Le rassemblement s’était effectué à 14 heures devant la poste, au Plateau des Glières et au début de la rue d’Isly et s’était ébranlé en direction de Bab-El-Oued.

J’étais de garde ce jour-là à l’hôpital Mustapha et j’ai été appelé, en urgence, à la salle Daviel, vers 15 heures 30. Le premier dodge command-car avait déjà débarqué son contingent de blessés et l’un des premiers débarqués était mon ami Jean Massonnat qui ai été allongé sur un lit. A son chevet se tenaient la Mère Supérieure de la Communauté Sœur Anne et Martial Tro qui dirigeait le Bureau des Entrées. Jean était au plus mal, très gêné pour respirer. J’eus le temps de le soulever un peu, en le prenant dans les bras. Il me regarda et me dit simplement : « Tu vois, Roger » et sa tête s’affaissa définitivement sur mon bras. Avec Martial Tro et la Bonne Sœur pour m’aider, nous vîmes que sa veste était perforée et brillée selon un rond, à sa partie postérieure moyenne, à droite. Il avait, à la partie moyenne du dos, à droite, une large plaie anfractueuse, en cratère cylindrique de la base de l’hémithorax droit et à la face antérieure du gril costal droit une large plaie déchiquetée littéralement explosée, signant qu’il avait été blessé de dos.

Eprouvé, je regagnai immédiatement le Service Bichat-Nélaton pour opérer les multiples blessés qui affluaient déjà.

Le lendemain matin 27 mars 1962, accompagnant le Professeur Goinard, toute l’équipe chirurgicale de la Clinique Thérapeutique de l’Université se rendit à la Morgue. On dénombra près de quatre-vingts morts bar balles, entassés dans les locaux de la morgue. De multiples photographies avaient été faites avec l’appareil photographique du service. Mais les deux rouleaux de pellicule, envoyés naïvement et comme à l’accoutumée au développement en France, ne sont, cette fois, jamais revenus. »

 

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