Les Victimes
Une liste de 49 noms a été établie en 2010 par l’historien Jean-Jacques JORDI, à partir des recherches qu’il a menées auprès des Archives nationales d’Outre-Mer à Aix-en-Provence, des Archives diplomatiques à Nantes, Archives nationales du ministère des Affaires étrangères, Archives du Service Central des Rapatriés à Coulounieix-Chamiers, Archives Contemporaines à Fontainebleau, Archives nationales du ministère de la Justice, Archives nationales du ministère de l’Intérieur, de témoignages, de journaux, dépêches d’agences (AFP, AP et UPI).
Nous connaissons sa compétence, sa rigueur et ne mettons pas en doute la qualité de son travail. Pourtant plusieurs médecins et membres du personnel médical présents le 26 mars 1962 ont avancé des chiffres bien supérieurs. Leur crédibilité n’a pas lieu d’être mise en doute. Dans le désordre, la panique du moment, comment ne pas penser que des corps dépourvus de papiers d’identité aient pu être enterrés sans avoir figuré dans un quelconque rapport.
C’est possible comme l’a affirmé un témoin (cf. l’ouvrage « un crime sans assassins »)
« Au dépôt mortuaire, on les mettait les uns sur les autres. Quand on voulait voir un mort il fallait le chercher … débarrasser un tas de cadavres pour le trouver. C’était épouvantable. On dit qu’il y a eu 80 morts, moi je ne travaillais pas au service administratif, je ne peux pas citer de noms, mais je dis qu’il y avait 120 morts. A cette époque, ceux dont on ne réclamait pas le corps parce que c’étaient des gens de passage, ou pour d’autres raisons, étaient emmenés le soir à la sauvette. Qu’ils soient musulmans, juifs, chrétiens… au cimetière d’El Halia directement la nuit. L’aumônier a protesté officiellement il a été expédié à Paris tout de suite. Je peux affirmer que sur les morts et les blessés que nous avons reçus aucune arme à feu n’a été trouvée, ni couteau ni rien… »
Dans l’algérois comme dans n’importe quelle grande ville d’un quelconque pays, des gens pouvaient vivre seuls, ne pas avoir de famille. Et dans le chaos qui a suivi la fusillade de la rue d’Isly, mais aussi, lorsqu’on sait comment les victimes identifiées ont été traitées, sans humanité, comment ne pas croire que de tels faits se soient réellement produits ?
Il était interdit de sortir les corps de la morgue, de les ramener à leur domicile. Il semble pourtant vraisemblable que, grâce à la complicité bienveillante du personnel, cela ait pu se passer. La concordance des témoignages apportés par deux médecins est en effet troublante :
-« je suis allé à la morgue de l’hôpital ou étaient entassés des cadavres de victimes. J’ai notamment le souvenir encore très vif de deux très jeunes filles, des sœurs, qui ont été tuées à bout touchant comme on dit en médecine légale »
– « je me souviens fort bien d’avoir vu parmi les cadavres 2 petites filles de 8 ou 10 ans en robe rouge que j’avais opérées quelque temps auparavant ».
Le nom de ces petites filles ne figure pas sur la liste, aucun avis de décès dans la presse n’a pu nous éclairer. Pourtant, la mort de ces fillettes ne laisse planer aucun doute. La crainte de représailles peut expliquer la discrétion des familles sur les circonstances du décès…
Un autre témoignage d’un médecin fait état d’un chiffre de 80 morts
« Le lendemain matin 27 mars, accompagnant le professeur Goinard toute l’équipe se rendit à la morgue. On dénombre près de 80 morts par balles entassés dans les locaux de la morgue. Des photographies avaient été prises avec l’appareil du service mais les 2 rouleaux de pellicule envoyés naïvement et comme à l’accoutumée au développement en France ne sont cette fois jamais revenus. »
Deux policiers de la circulation « nous avons commencé à charger les cadavres dans les camions. 3 GMC ont été remplis. Un médecin vérifiait rapidement et on les empilait … Environ 40 par camion. À notre avis le nombre de tués dépasse largement les 80 qui ont été publiés. »
Nous ne saurons jamais le nombre réel de vies arrachées ce 26 mars 1962. Aussi nous en tenons-nous à la liste suivante, indiscutable des Victimes officiellement dénombrées.
LISTE NOMINATIVE DES VICTIMES INSCRITES SUR LE MEMORIAL NATIONAL DE LA GUERRE D’ALGERIE A PARIS
1 – ALDEGUER Gabriel 42 ans – né à Alger – Chef comptable
2 – BAYARD Georges – 58 ans, né à Alger -Conducteur de travaux
3 – BERNARD Henri – 76 ans, né à Sousse (Tunisie)
Chevalier de la Légion d’honneur, Médaille militaire, Croix de guerre 1914-18 — 1939-45
4 – BLUMHOFER Albert – 62 ans – né à Lakar (Allemagne) Retraité de l’aviation civile
5 – CAZAYOUS Jacqueline – 20 ans née à Alger – Basketteuse à l’Algéria Sports,
Secrétaire à la 20th Century Fox
6 – CHOUIDER Tayeb né en 1904 à Barika – Docker,
7 – CIAVALDINI Charles – 22 ans, né à Alger -Ancien parachutiste du 18 R. C.P.
Croix de la valeur militaire avec Etoile de Vermeil
8 – COURAUD Jacques, 30 ans, Employé EGA
9 – DUPUY Lucien Jean – 62 ans, né à Sétif – Retraité E.G.A , ancien combattant 1914-18
10 – EIME Marie-Jeanne – 57 ans née à Saint-Maur des Fossés-Employée
11 – FABRE Marcel André- 53 ans, né à Alger – Adjoint technique de la Météorologie Nationale
Ancien prisonnier de guerre, Médaille des Evadés, Officier des Palmes Académiques, Chevalier du Mérite social
12 – FAGUE André – 28 ans, né le 22 février 1934 à Alger
13 – FERMI Louis – 53 ans né à Alger
Directeur de la société Etavinor, Secrétaire général de la Ligue de Natation
14 – FERRANDIS Renée Françoise – 22 ans, née à Alger – Contrôleur PTT Grande Poste d’Alger
15 – FRASQUET Jacqueline – née Ségui -23 ans née le 16/03/1940 à Alger
16 – FREDJ Samuel André– 41 ans, né à Médéa – Comptable
17 – GALIERO Jean Raphaël– 35 ans – né à Hussein-Dey
18 – GAUTIER Philippe – 28 ans né à Paris. Ancien officier du commando marine, croix de la valeur militaire
avec Etoiles de bronze et de vermeil
19 – GERBY Fernand 43 ans né à Alger, Comptable
20 – GHIRARDI-GIAUSSERAN Jacky – 27 ans né à Alger
21 – GREGORI Faustine- 53 ans
22 – HUGUES Pauline née Berthon – 66 ans – née à Alger
Directrice d’école honoraire, chevalier de la légion d’honneur
23 – INNOCENTI Jacques – 60 ans, né à Tours – Ingénieur ECP, Officier de réserve
24 – LAMENDOUR Gilbert – 31 ans, né à Brest – Professeur de collège technique et directeur du CET d’Alger-centre
25 – LIGNON René – 42 ans, né à Douai Commandant en retraite, Officier de la Légion d ‘Honneur, Commandant pilote, 14 citations,
Croix de guerre 39-45, Croix des T.O.E., Croix de la Valeur militaire, Croix de la Vaillance vietnamienne,
26 – LORETTI Emile – dit « Lorette » 63 ans, né à Constantine -Pâtissier
27 – LUISI Joseph – 65 ans. Né à Biskra
28 – LURATI Henri – 51 ans, né à Orléansville -Directeur de l’école des Orangers
29 – MAILLE Gilbert Désiré – 57 ans, né à Roum el Souk – Inspecteur central des contributions directes
30 – MASSONNAT Jean-Paul – 38 ans, né à Hussein-Dey – Docteur en médecine.
Médecine des Hôpitaux, Médecin-capitaine de réserve, Ancien combattant 1939-1945
31 – MAURY Marc – 30 ans – né à Alger – Sous-directeur de la Caisse d’Assurances Agricoles
32 – MAZARD Guy – 29 ans né à Alger – Représentant
33 – MESQUIDA Anne Jeanine née Gautrieau – 41 ans – née en Charente-Maritime – Mère au foyer
34 – MOATI Georges – 22 ans, né à Alger – Employé au Crédit Lyonnais
35 – MONPO Roger, 48 ans -‘né à Mézin (47) -Contrôleur à Air-Algérie
36 – PISELLA François – 55 ans – né à El Kantara – Chauffeur
37 – PUIG Claude – 31 ans , né à Alger – Mécanicien dentiste.
38 – PUIG Marcel – 52 ans né à Alger – Concierge
39 – PUIGCERVER Domingo –42 ans né à Benisa – Artisan
40 – RAZES Alain Pierre – 32 ans – né à Paris – Chef d’Atelier
41 – RICHARD René – 47 ans né à Alger – Directeur de la société SAEMAF
42 – ROCH Henri – 26 ans, né à Alger
43 – SANCHIS Gaspard – 64 ans, né à Souma ( Algérie)
44 – SANTACREU Joaquim – 48 ans, né à Alger
45 – SERRANO Adolphe – 42 ans né à Alger
46 – TORRES Michèle – 19 ans, née à Hussein Dey ( Alger)
47 – VAN DEN BROECK Georges , 54 ans né à Hautvillers (51)
Commandant de réserve, Officier de la Légion d’honneur, Officier du mérite militaire,
Titulaire de la croix de guerre des T.O.E de la croix de guerre 39 45
48 – VENGUT Jean – 64 ans – né à Bénisa -Retraité :
4 9 – ZELPHATI Elie-Paul Edouard 40 ans – né à Alger