alger 26 mars 1962
Inauguration d’une Plaque à Caen (Calvados)
à la Mémoire des Victimes du 26 Mars 1962 à Alger et du 5 Juillet 1962 à Oran.
C’est le 12 mai, jour de la Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme que la plaque à la mémoire des Victimes des deux événements collectifs qui ont marqué l’après 19 Mars 1962 et seront suivis du massacre des Harkis a été inaugurée.
Cette plaque est l’aboutissement de contacts avec la municipalité de Caen menés par Nicole Ferrandis et Yves Sainsot, au titre de leurs associations respectives (Familles des Victimes du 26 Mars 1962 et Anfanoma ) et dans la ligne d’un combat mémoriel mené en commun depuis un quart de siècle,
Le Maire de Caen, Monsieur Joel BRUNEAU, a proposé qu’elle soit apposée sur le socle de la statue de Jeanne d’Arc installée initialement devant la cathédrale d’Oran, récupérée après l’indépendance par nos militaires du Génie et nos Marins, parvenue à Caen où elle fut inaugurée en 1964.
C’est sous un soleil radieux, devant les Autorités régionales, locales et une assistance nombreuse que ces cérémonies se sont déroulées. Plusieurs membres de familles de victimes étaient venus de loin, mais aussi ceux de nos partenaires associatifs réguliers qui avaient pu se libérer (pour les Harkis AFFPA, UNH, AJIR, pour les « pieds-noirs MAFA, GRDFA, Cercle Algérianiste de Neuilly), rejoignant ainsi nos fidèles adhérents, amis et sympathisants locaux. SOLDIS était représenté et les Porte-drapeaux étaient là en force.
La première intervention est confiée à Yves SAINSOT, suivie de celle de Nicole FERRANDIS. Toutes deux concises et émouvantes.
La plaque est alors dévoilée par M Joël BRUNEAU, Maire de Caen, Mme Nicole FERRANDIS et M Yves SAINSOT, auxquels sont associés MM POUTY représentant le Préfet et J.P. GEORGES pour l’ANFANOMA-Normandie.
Suit le dépôt des gerbes aux couleurs nationales en hommage aux Victimes: une gerbe bleue, à la mémoire des Civils, Militaires et Harkis tués ou disparus; une gerbe rouge, à la mémoire des Victimes du 5 Juillet à Oran; enfin, une gerbe blanche à la mémoire des Victimes du 26 Mars 1962 à Alger.
Un peu plus tard, éclatera la sonnerie aux Morts, suivie de la Marseillaise, du chant des Africains repris en chœur et des remerciements des Autorités aux Porte-drapeaux, aux Familles des Victimes.
Mme la Ministre Patricia Mirallès, empêchée, a chargé le Préfet de Région de faire déposer une gerbe à son nom.
Ce fut une grande, une belle cérémonie, fruit d’échanges ouverts et confiants, de compréhension mutuelle, de persuasion et de conviction. Elle a été d’une tenue exemplaire, sereine et simple, dans le calme et le recueillement, selon notre tradition.
INTERVENTION YVES SAINSOT
Monsieur le Maire,
C’est à vous que vont mes premiers remerciements en ces instants de profonde émotion que nous nous apprêtons à vivre, devant cette statue de Jeanne d’Arc, l’Oranaise, accueillie avec cœur par votre lointain prédécesseur Jean-Marie LOUVEL.
Après avoir eu la chance de l’admirer, sous mon calot de Zouave, devant la cathédrale d’Oran, j’avais le bonheur, voici 60 ans de la retrouver et de prendre une part active à l’inauguration de son arrivée sur cette place.
Monsieur Louvel avait ouvert cette ville aux Français d’Algérie, où nous avons été reçus à la normande, comme sont traités les « horsains »…
Caen n’a pas été de ces villes où les Rapatriés ont été priés d’aller se réadapter ailleurs. Ici on ne vous rejette pas, on ne vous saute pas au cou, on vous observe tranquillement, on apprend à vous connaître et, pour finir, on vous adopte si vous convenez.
Nous avons, en bons exilés suivi l’exemple de nos Pères, masqué nos peines, enfoui nos souvenirs, ravalé nos colères, séché nos larmes… et retroussé nos manches. Et Caen « nous a pris dans ses bras » !
Aujourd’hui, Monsieur le Maire, après nous avoir rencontrés, prêté une oreille attentive et tout simplement compris, vous nous prouvez que nous avons fait le bon choix et sommes bien chez nous, ici. Merci M Bruneau, Merci !
A cet instant, émouvant entre tous, me revient la charge et le devoir de rendre hommage à toutes ces Victimes, civiles, militaires et Harkis, qui au cours des huit années de cette guerre – militaire bien sûr mais aussi civile avec ses excès et ses horreurs – sont Mortes ou Disparues.
En ce 12 Mai, coïncidence troublante du calendrier, comment ne pas évoquer ce télégramme, signé voici précisément 60 ans de notre Ministre des Armées – qui reconnaitra plus tard sa faute – interdisant à notre Armée de faciliter l’accès des Harkis au territoire métropolitain… Ces représentants Harkis dont je salue la présence à nos côtés aujourd’hui !
Mais aussi combien de sacrifices, de douleurs, de souffrances tenues secrètes, de traumatismes cachés…
Je pense à ces jeunesses sacrifiées, à ces vieillesses perdues, à ces reconversions humiliantes, enfin à ce sentiment général d’abandon, d’ingratitude mais, plus grave encore, de mensonge et de trahison.
Comment ne pas compatir à l’angoisse des familles de disparus qui « n’ont jamais su ce qui était arrivé à leurs proches…
Combien ont attendu un retour croyant qu’un jour enfin la porte allait s’ouvrir sur leur mari ou sur leur père ». Enlevés, disparus, ils n’auront jamais de tombes…
Enfin, pour clore ce premier chapitre douloureux, je dois évoquer l’état de nos cimetières là-bas, abandonnés, pillés, profanés, voire tout simplement rasés pour laisser place à des décharges ou des projets immobiliers.
J’aborde le second, brièvement avant de céder la parole à Mme Ferrandis, hélas plus qualifiée que moi pour le développer.
Le 26 Mars 1962 à Alger, « les citoyens voyaient se retourner contre eux le glaive qui devait les défendre » et le 5 Juillet 1962, à Oran « des centaines d’Européens étaient massacrés comme le seront ensuite nombre d’autres et des dizaines de milliers de Harkis auxquels la République tournera le dos et lâchera la main ».
Ces deux drames collectifs ont marqué les mois qui ont suivi le cessez-le-feu, « victoire et soulagement pour certains, défaite et calvaire pour d’autres » et ont précipité l’exode d’un million de Français… Il est juste et nécessaire d’en préserver la mémoire.
Caen est la première grande ville de France à le réaliser de cette manière. Puisse son modèle servir d’exemple et de tremplin ! Nous comptons bien nous y employer.
Je ne suis pas Shakespeare, Dieu m’en préserve, chère Jeanne !
Mais c’est souvent que j’imagine notre Marianne, ce soir de Mars à Alger, regardant avec horreur ses mains rougies de sang…
Je me représente aussi notre Marianne en ce jour de Juillet, se voilant la face et se bouchant les oreilles pour ne pas entendre les hurlements de terreur et de douleur des Oranais pourchassés ou – pire peut-être encore – enlevés et disparus…
Eh bien, chère Jeanne, je me tourne vers Toi et prends l’engagement solennel, tant que j’en aurai la force, de venir désormais plus souvent encore te saluer et me recueillir auprès de toi. Je croiserai ton regard embué et je sais que j’y apercevrai toujours perler les larmes de la compassion.
INTERVENTION NICOLE FERRANDIS -12 MAI 2024- CAEN
C’est avec beaucoup d’émotion que je m’exprime devant vous avant de dévoiler cette plaque en Mémoire des Victimes du 26 mars 1962 à Alger et du 5 Juillet 1962 à Oran.
Si des plaques en hommage aux victimes oranaises ont déjà été inaugurées dans quelques villes de France, c’est la première fois que celles de la rue d’Isly à Alger en obtiennent une et c’est une place de grand choix.
Bien sûr, depuis le 26 mars 2010, leurs noms ont été accueillis sur le Mémorial national de la guerre d’Algérie à Paris où depuis 2021, une gerbe présidentielle est déposée lors de notre cérémonie associative chaque 26 mars.
Moments importants comme celui que nous vivons en cet instant devant la statue de Jeanne d’Arc, cette statue rapatriée d’Oran qui représente si bien Jeanne, Jeanne l’héroïne, Jeanne reniée et abandonnée de tous…
Comme un jour le seront nos martyrs de la rue d’Isly…
Les algérois qui défilaient vers leur triste destin aimaient, eux aussi passionnément, la France. Ils marchaient le drapeau tricolore à la main, ils chantaient la Marseillaise, les Africains.
Ce 26 mars 1962, en manifestant ils voulaient simplement montrer leur volonté de continuer à vivre sur la terre où ils étaient nés pour la plupart et sous le drapeau français que leurs aïeux avaient choisi.
Être Français c’est servir son Pays !
Les algérois n’avaient pas failli, ils l’avaient prouvé :
Parmi les manifestants, figuraient de nombreux anciens combattants, qui avaient découvert la métropole en 14-18 ou plus récemment en 39-45. Défendre la mère-patrie, ils ont accompli leur devoir sans hésiter.
Tel était le cas de
René Richard, croix de guerre 39-45,
René Lignon croix de guerre 39-45, 14 citations,
Marcel Fabre, ancien prisonnier de guerre, médaille des évadés,
Elie Zelphati qui participa au débarquement de Cavalaire, puis sera blessé en Alsace, croix de guerre avec palme,
Henri Bernard né en 1896 ancien combattant de 14-18, avait pris part à la campagne de Flandre et de Belgique, chevalier de la Légion d’honneur.
Georges Van den Broeck, avait débarqué en Provence le 15 août 1944 et le 21 août à Saint-Loup seul avec son interprète il passait à travers les lignes pour négocier la reddition d’un point d’appui permettant de faire plusieurs centaines de prisonniers ; il était officier de la légion d’honneur, officier du mérite militaire, croix de guerre 39-45, croix de guerre des territoires extérieurs et 5 citations.
Domingo Puigcerver, né en 1898, Français naturalisé engagé en 1942 au Corps franc d’Afrique participe à la campagne de Tunisie en 1943, jugé apte pour les Forces Françaises Libres part au Maroc, embarque pour l’Angleterre en Mai 1944 et prend part au débarquement de Normandie avec la 2eme DB ; il participera à la libération de Paris et aux campagnes des Vosges et d’Alsace, titulaire de la Croix de guerre avec médaille de bronze.
A la fin de la guerre, revenus sains et saufs à Alger, ces anciens combattants se joindraient tout naturellement à cette manifestation.
Les barrages se sont écartés, ils ont pu passer et arriver ainsi devant la grande poste d’Alger. Face à eux des soldats sont là, lourdement équipés d’armes automatiques pour une manifestation pacifique. Ils ont été installés là, où ils n’auraient jamais dû être…
Le dernier barrage se ferme. Femmes, hommes de tout âge, de toute condition, ouvrier, employé, fonctionnaire, tous espèrent poursuivre leur chemin et attendent le passage.
Soudain sans aucune sommation un des soldats tire, imité aussitôt par ses camarades ; les manifestants essaient de fuir, les balles les frappent dans le dos, d’autres se jettent sur la chaussée, tentent désespérément de s’abriter, mais les armes se dirigent vers le bas des trottoirs, vers les corps étendus, s’acharnent, achèvent des blessés…
Plusieurs minutes de fusillade unilatérale, 12 précisément, feront officiellement 49 morts et plus de 200 de blessés. Tous civils !
Plus tard, les ambulances, les voitures de pompiers subiront elles aussi le tir des armes. Parmi les victimes, nos héros de guerre !
Ils auraient pu mourir lorsqu’ils luttaient contre l’Italie ou l’Allemagne nazie, lorsqu’ils ont débarqué les uns en Corse ou sur les côtes de Provence, d’autres en Normandie, mais c’est rue d’Isly qu’ils ont perdu la vie, sans combattre…
Plus loin, 8 corps de femmes sont étendus, Plusieurs membres de ces familles sont là aujourd’hui. Elles viennent de Toulouse, de Bordeaux, d’Arles.
Patrick a perdu sa jeune tante Jacqueline Cazayous, elle n’avait que 19 ans, Jakine sa mère Jeanine Mesquida qui laissera 4 orphelines avait 41 ans, Annie sera grièvement blessée au côté de notre sœur, Renée Ferrandis qui, elle perdra la vie. Elle avait 22 ans.
La suite, c’est l’acharnement des Autorités, l’interdiction de cérémonies religieuses, les fleurs déposées en hommage et piétinées sur ordre, ce sont les corps amenés par camions militaires dans les cimetières, au jour, à l’heure imposée.
C’est l’interdiction d’un dernier adieu, d’une dernière caresse, d’un dernier baiser.
Ce seront aussi les si longues années de silence sur ce drame, trop longtemps occulté.
Ce massacre ouvre les yeux de ceux qui espéraient encore. Il constitue le premier signal de l’exode et ceux qui ne pourront pas fuir connaitront un sort affreux, comme nos amis Harkis, comme les Oranais le 5 juillet 1962 et nos pensées vont également vers les enlevés et disparus pour toujours… car jamais recherchés…
C’est au nom de toutes ces victimes que je vous remercie Monsieur le Maire. Merci de nous avoir entendus et si bien compris.
Je dois aussi remercier les adhérents de nos deux associations organisatrices ainsi que nos partenaires associatifs de longue date qui ont accepté d’enthousiasme de se joindre à nous pour cette grande occasion.
Je tiens enfin à remercier tout particulièrement mes amis de l’ANFANOMA qui m’ont accompagnée et soutenue dans ce projet, je pense naturellement au président national Yves Sainsot et à Jean-Paul Georges, président régional. Sans eux, sans leurs propres relais, rien n’aurait été possible.